Qui m'a couvé neuf mois dans son sein gros d'alarmes ?
Qui salua ma vie avec des pleurs joyeux ?
Qui sous ses longs baisers éparpillait mes larmes ?
C'est ma mère. Une mère en ses bras pleins de charmes,
Nous reçoit tout tremblants quand nous tombons des cieux.
Qui relevait mes pas quand je rampais à terre,
Forte de son sourire où s'arrêtaient mes pleurs ?
Sa bouche sur ma bouche, oh ! qui me faisait taire ?
C'est ma mère ! une mère avec un saint mystère,
Enveloppe nos cris dans ses chants ou ses fleurs !
Qui soutenait ma tête et retenait ma vie,
Quand mon berceau brûlait de mes fièvres d'enfant ?
Qui promettait le monde à ma rêveuse envie ?
C'est ma mère. Une mère à toute heure est suivie
D'un ange à la main pleine, au rire triomphant !
Qui, lorsque l'insomnie ouvrait mes yeux dans l'ombre,
Me faisait des tableaux plus doux que le sommeil ?
Qui m'apprenait que Dieu veille la nuit dans l'ombre ?
C'est ma mère. Une mère a des secrets sans nombre,
Pour délecter notre âme à l'heure du réveil.
Quand elle eut délié ma langue à la prière,
Qui battait la mesure à mes douces chansons ?
Sur mon livre muet qui versa la lumière ?
C'est ma mère. Une mère ouvre notre paupière;
Au feu de ses regards, moi, j'ai lu mes leçons.
Quand elle vieillira.... Dieu ! n'est-ce pas un rêve ?
Elle a dit qu'elle aura bientôt des cheveux blancs;
Qu'elle s'inclinera comme un jour qui s'achève,
Cette mère. A son cœur nous prenons tant de sève !
Dis, que ce sera triste à voir ses pas tremblants ?
Si tu veux, nous irons où l'on trouve des roses,
Pour lier une fleur à chacun de ses jours;
Nous irons dans un bois sombre et loin si tu l'oses,
Et nous la retiendrons par tant de belles choses,
Qu'à force d'être heureuse elle vivra toujours !
(Victor de Laprade - Odes et poèmes)